Romain Graziani
Légende d’Ôé
Avec mon besoin maladif de donner un sens à tout ce qui m’arrive, ou du moins un début de saveur, j’ai fini par établir une alliance de fond entre l’iris lucide et la prunelle atrophiée. L’œil gauche me sert à m’orienter à l’extérieur, il est le chien qui tire hors de soi, la canne qui flèche la lumière, livre à la douce corrosion des êtres. Il fait de moi un figurant singulier dans les scènes de plein jour, donnant partiellement droit à jouir de ses formes, de ses volumes et ses couleurs. L’œil borgne, lui, m’aura rendu barde. Comme l’éclair qui se rétracte, il lorgne vers un puits d’ombre, l’aval du sang qui bruit, baigne dans le moût des humeurs.
Légende d’Ôé est le journal fictif, tenu par le non moins imaginaire skieur japonais Tensui Ôé devenu borgne après un accident. Une nouvelle perception du monde s’ouvre alors à lui. Entre ironie douce et féroce volupté, ce livre de Romain Graziani confirme une voix qui pour embrasser le monde requiert les sujets les plus inattendus ; l’absurde ouvre la poésie à d’autres figures. Spécialiste des formes de la pensée en Chine ancienne, professeur de langue et littérature chinoises à l’École Normale Supérieure, il y a chez cet auteur une érudition qui en fait l’héritier des Segalen et Saint-John Perse par un côté, de Michaux par l’autre.
La curiosité, poussée à l’obsession par un humour convenablement farté, offre au vieux skieur débarassé de ses skis, une perspective sur un monde vierge doublé d’un petit vertige existentiel.
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900 exemplaires sur vélin de l’Arve.
13 euros.